Évidemment, il existe de vrais complots. Ce qu’il s’agit d’expliquer, c’est pourquoi les conspirationnistes n’envisagent l’histoire que sous cette forme, en déniant tout rôle au hasard, à l’erreur humaine et à l’évidence des faits. 

L’une des premières explications consiste à dire que la vision complotiste est utile car elle protège de l’angoisse. Dans un monde soumis à un flux toujours croissant d’informations complexes, soumis à l’incertitude, l’univers du complotiste a le mérite d’être simple : chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce – la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat – a une cause unique : l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal. C’est ainsi que, selon Norman Cohn, « la forme première de l’antisémitisme fut l’antisémitisme démonologique, c’est-à-dire l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, (…) complotant sans trêve la ruine du genre humain ».

Une vision du monde simple, donc facile à expliquer et à comprendre – ce qui en fait l’attrait, non seulement pour les inventeurs de ces complots, mais pour leur public. Les masses modernes, selon Hannah Arendt, sont avides d’idéologie, d’une vision du monde qui explique tout, ou encore, comme l’observe le sociologue Gérald Bronner, elles aiment que la réalité leur soit contée comme une bonne histoire, où des faits, même disparates, sont unifiés par un récit aboutissant à une conclusion apparemment logique.

En se donnant le rôle de dénonciateur de complots, le conspirationniste se donne une vision flatteuse de lui-même : lui, il ne croit pas tout ce qu’on lui dit, il voit la vérité cachée derrière les apparences ; en révélant ce qu’il a découvert, il rend service à la collectivité.

Certains chercheurs, en psychologie sociale, se sont également interrogés sur la personnalité des adeptes des théories du complot : retrouve-t-on les mêmes traits de caractère chez tous ? La parenté entre les raisonnements des paranoïaques et ceux des conspirationnistes est fréquemment relevée : même caractère obsessionnel, même acharnement à trouver des preuves, même aveuglement aux failles de leur argumentaire. Richard Hofstadter, dans un livre très remarqué, a ainsi dénoncé, en 1964, le style paranoïde aux États-Unis. Il relève chez les conspirationnistes des exemples de ce mécanisme de projection auquel Sigmund Freud attribuait la paranoïa : ainsi, dit-il, la John Birch Society, farouche ennemie du communisme, en imite la structure en cellules et les méthodes de guerre idéologique.

Deux psychologues suisses ont quant à eux effectué une recherche sur 198 étudiants (3). Ils ont d’abord testé leur adhésion à huit théories du complot en vogue – l’assassinat de Kennedy, le 11 septembre, la fabrication en laboratoire du virus du sida… Puis ils ont évalué, à l’aide de questionnaires, une série de traits de personnalité et cherché lesquels étaient le plus en corrélation avec une forte adhésion aux thèses complotistes. 

Deux traits sont présents dans tous les cas : la méfiance et l’anomie, c’est-à-dire le sentiment de ne pas pouvoir contrôler le monde environnant et sa propre vie. Ensuite, ils ont comparé deux sous-groupes : l’un formé de sujets qui croient surtout à des complots ourdis par des minorités (Al-Qaïda, Juifs…) ; l’autre, qu’ils ont appelé « système », dans lequel le complot est attribué à des gens en position de pouvoir (la CIA, les laboratoires…). Ils ont constaté que, si la méfiance et la peur du monde existent chez tous, le groupe « minorités » se distingue par son conservatisme social, et le groupe « système », par son irrationalité, c’est-à-dire son adhésion à des croyances ésotériques. 

Y a-t-il des différences de motivation, de personnalité entre les conspirationnistes et les gens qui, sans imaginer de complots eux-mêmes, croient facilement à ceux qu’on leur dénonce ? De degré plutôt que de nature, semble-t-il. D’après plusieurs études récentes, celui qui croit à un complot croit souvent en plusieurs complots, et se dit disposé à dénoncer des complots lui-même. Ses principaux motifs d’adhésion à ces théories sont la séduction exercée par une vision du monde simple, cohérente, divisant le monde en bien et mal, identifiant clairement la source du mal et permettant ainsi de lutter contre lui. Viennent ensuite le sentiment valorisant d’être un initié, de ne pas être un idiot succombant à toutes les formes de lavage de cerveau.
Le progrès de l’instruction semble assez impuissant à lutter contre l’attrait des théories du complot les plus extravagantes. G. Bronner, auteur de La Démocratie des crédules (2013), cite diverses études montrant que ni les terroristes convaincus, ni les membres de groupes sectaires ou délirants ne sont dépourvus d’éducation supérieure. La sensibilité au paranormal, à l’homéopathie, à l’astrologie et aux légendes urbaines est plus forte chez les gens ayant un niveau d’études élevé que chez les moins instruits. L’attentat du 11 septembre 2001 a fait l’objet d’enquêtes d’opinion. Aux États-Unis, 49 % des habitants de New York, qui ne sont pas les moins diplômés du pays, affirment que le gouvernement américain savait ce qui allait arriver et s’est consciemment abstenu d’agir…Ces opinions pour le moins vaporeuses peuvent s’expliquer. L’instruction accroît la curiosité et l’ouverture d’esprit. 

Prenons l’exemple de l’astronomie : après des siècles passés à penser que le Soleil tournait autour de la Terre, certains astronomes ont découvert que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil. Puis on a montré que le Soleil, la Terre et les autres planètes faisaient partie d’une galaxie, et que celle-ci était une parmi des millions pareillement structurées. Du coup, la possibilité qu’il y ait d’autres êtres intelligents dans l’Univers a été prise au sérieux. On peut comprendre que des gens en viennent à admettre que des extraterrestres débarquent chez nous en secret… Bref, plus on croit que tout est possible, plus on est prêt à l’admettre.

S’il ne s’agissait que de cela, on pourrait, en effet, laisser courir les rumeurs. Mais elles sont loin d’être inoffensives. Tout d’abord, elles peuvent tuer : au Moyen Âge, on ne s’est pas contenté d’imputer des complots aux lépreux et aux Juifs, on en a tué des milliers. De nos jours, la croyance dans le « complot des Juifs » a sûrement servi d’autojustification à des auxiliaires d’Adolf Hitler. Plus généralement, taxer de complot telle ou telle minorité conduit à sa stigmatisation et contrarie ses efforts pour s’intégrer à la communauté nationale. Les rumeurs dénonçant le danger de tel ou tel vaccin suite à un complot entre laboratoires et gouvernements ont eu pour conséquence une couverture vaccinale insuffisante, à cause de laquelle des maladies comme la rougeole ou la polio ressurgissent.

Le conspirationniste, lui-même, est victime de ses croyances. Intellectuellement, elles altèrent ses facultés de jugement ; socialement, sa méfiance généralisée lui vaut d’avoir peu d’amis. Le complotisme est nuisible à la santé : aux États-Unis, des études ont montré une corrélation entre mortalité et niveau d’hostilité.
Voila, c'est pas de moi, j'ai pas les capacités d'écrire ce genre de truc, mais ça décris assez bien ma façon de voir les choses :)
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